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Lettre à mes frères turcs

mardi 13 janvier 2009, par Jean Keyahan

Des intellectuels turcs ont lancé une pétition de réconciliation avec les Arméniens. Ils demandent pardon à tous ceux, de par le monde, qui portent la douleur des massacres qui ont débuté en 1915 et se sont soldés par la disparition de toute la population arménienne d’Anatolie estimée à près d’un million et demi d’âmes.

Ces pétitionnaires sont l’honneur de la Turquie et s’ils demandent pardon, c’est parce qu’ils savent qu’un pays qui cache un cadavre dans son placard ne peut pas entrer dans le concert des nations civilisées. Aujourd’hui dans le monde, lorsqu’on évoque les Arméniens, on pense automatiquement génocide. Ce mot terrible, les Turcs ne veulent pas l’entendre, estimant qu’il est une atteinte à leur civilisation et que de toute façon, les massacres et déportations (« Tchart » et « Aksor » en arménien) se sont déroulés sous l’Empire ottoman. Hélas, en ne reprenant pas à son compte ce passé, la Turquie s’ampute de la respectabilité internationale qu’elle mérite, surtout depuis qu’elle remplit avec efficacité son rôle de médiatrice dans sa zone d’influence géopolitique. Les ultranationalistes, ceux-là mêmes qui ont fait taire par une arme la plume du journaliste turco-arménien Hrant Dink, font valoir que le rapport des Turcs à leurs minorités relève de leur fierté nationale qui ne serait pas négociable. En l’occurrence, il ne saurait être question de « négocier » un événement reconnu par la communauté internationale des historiens sérieux et responsables. Même si le rôle de la Russie tsariste, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne ou de la France n’est pas à négliger en ces années de Première Guerre mondiale, il n’en reste pas moins que les bras armés ont été ceux des Turcs et de leurs supplétifs kurdes assurés de l’impunité.

Recep Tayyip Erdogan, votre Premier ministre, ne veut pas entendre parler de pardon. C’est son choix de ne pas entrer dans l’histoire par la grande porte. Les Willy Brandt ne sont pas légion. A l’inverse, le président Abdullah Gül a entendu les appels de ses concitoyens souhaitant une réconciliation. L’homme qui s’est rendu à Erevan à l’occasion d’un match de football a rempli d’espoir des populations qui souffrent de la fermeture des frontières. C’est que la petite Arménie risque de mourir d’étouffement si le blocus est maintenu et il n’est que de questionner les autorités et l’homme de la rue de Kars, en Turquie, et de Gumri, en Arménie, pour se persuader que le désir de retrouver une fraternité de voisinage est fort. La restauration de l’église d’Aghtamar, sur une île du lac de Van, datant du IXe siècle, avait déjà soulevé un grand espoir, même si les autorités ont eu peur de faire couronner la coupole de sa croix originelle. Mais ces temps aussi viendront.

Reconnaître la Grande Catastrophe rapprocherait psychologiquement un peu plus votre pays de l’Union européenne. Nous aussi avons nos ultranationalistes, qui avancent des questions de géographie pour repousser la Turquie. A l’heure de la mondialisation, l’argument est plutôt dérisoire. Il enlève à la Géorgie, à l’Azerbaïdjan et à l’Arménie l’espoir de posséder un jour une frontière avec l’Europe. C’est pourtant ce qui peut arriver de mieux à ces républiques du Caucase que la Russie souhaite soumettre à nouveau à sa loi d’airain.

Sachez, initiateurs et signataires de la pétition, que vous êtes les frères de tous ceux qui pensent que l’avenir appartient aux porteurs d’espoir et de vérité historique. D’ores et déjà, nous savons que le sang de Hrant Dink n’a pas coulé pour rien. Et nous sommes nombreux, Français d’origine arménienne, à être solidaires de votre combat, ne réclamant rien d’autre que la vérité historique, en rejetant les avatars comme la restitution de terres ou de biens. Les fauteurs de massacres ont détruit le monde. C’est vrai, mais grâce à vous nous le reconstruirons.

- Jean Kehayan journaliste et essayiste.

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Sources

Source : Libération, le 5-01-09

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