La France n’a pas compris que l’Union est une démocratie où jouer la seule carte allemande ne nous assure pas les commandes
La France est giflée. Pour un pays de son importance économique et de son poids militaire et politique, pour le pays qui a inventé l’Europe, ce petit portefeuille des Transports dont elle vient d’hériter à la Commission est une pure et simple humiliation. Nous compterons désormais moins à Bruxelles que la Lituanie (Budget), l’Autriche (Relations extérieures), les Pays-Bas (Concurrence) ou la Pologne (Politique régionale). Mais pourquoi ?
Nos maladresses n’expliquent pas tout. Si Jacques Chirac avait envoyé à la Commission un homme de plus de stature internationale que Jacques Barrot, la France s’y serait vu confier de plus grandes responsabilités. Si le président de la République n’avait pas exclu la candidature de Pascal Lamy parce qu’il est socialiste et partisan d’une refonte de la politique agricole commune, un Français aurait même pu prendre la tête de la Commission. Si nous n’avions pas barré la route à Chris Patten au seul motif qu’il n’est pas à l’aise en français, la Commission serait, en tout cas, présidée par un homme qui ambitionne, comme la France, de faire de l’Union une puissance politique.
Tout cela est vrai, mais il y a plus grave.
Le vrai problème est, d’abord, que nous agaçons. Nous horripilons nos partenaires avec cette manière de faire comme si le français était toujours la langue des échanges internationaux et la France, le centre du monde. Nous ne sommes plus au XVIIIe siècle, plus même au XIXe. A vouloir faire respecter l’étiquette d’un ordre révolu, nous ne faisons qu’en souligner la fin ; et ces ridicules de prince déchu, pis encore, nous aveuglent.
A l’aune du passé, nous sous-estimons ce que nous sommes aujourd’hui, nous en oublions, deuxième problème, que nous sommes encore trop forts, économiquement, politiquement et démographiquement, pour ne pas inquiéter nos partenaires. Nous leur faisons, en fait, d’autant plus peur que notre seule politique européenne est l’approfondissement de nos liens avec l’Allemagne, avec laquelle nous constituons l’hyperpuissance économique de l’Union et la deuxième puissance du monde.
Pour les autres pays européens, nous sommes aussi insolents, impérieux et blessants que les Etats-Unis le sont à nos yeux. De même que nous jouons, à l’ONU, la loi de la majorité contre l’Amérique, ils l’utilisent contre nous à Bruxelles.
Cela durera, troisième problème, tant que nous ne serons pas plus soucieux de nous faire des alliés dans l’Union, d’y constituer des majorités politiques sur des projets clairs - tant que nous n’aurons pas enfin compris que l’Europe est une démocratie où jouer la seule carte allemande ne nous assure pas les commandes.
C’est le quatrième problème : nous voulons faire de l’Europe une puissance politique mais refusons de la regarder comme une nation en devenir, comme une fédération dans laquelle il faut, d’ores et déjà, une double majorité d’Etats et de citoyens pour faire triompher ses idées.
Outrecuidants, nous sommes aussi complexés et inconséquents.