Dix nouveaux Etats sont entrés il y a deux ans dans l’Union européenne. Une dizaine d’autres devraient adhérer dans les années à venir. La Bulgarie et la Roumanie deviendront membres en 2007 ou, au plus tard, en 2008. Les négociations sont en cours avec la Turquie et la Croatie. Des discussions préalables ont commencé avec les autres pays des Balkans. C’est toute l’Europe du Sud-Est qui, dans un avenir plus ou moins proche, est appelée à rejoindre les Vingt-Cinq - en attendant, peut-être, l’Ukraine et la Moldavie.
Si l’élargissement de 2004 s’est fait dans une relative euphorie, née de la chute du communisme, celui qui s’annonce se prépare dans l’inquiétude et la mauvaise humeur. Les doutes s’expriment ouvertement, les avertissements se multiplient. La Commission dira le 16 mai si la Bulgarie et la Roumanie remplissent les conditions pour entrer à la date prévue. Pour le moment, le jugement est plutôt mitigé. La lutte contre la corruption est insuffisante, le trafic des êtres humains n’est pas combattu avec assez de vigueur, l’intégration des minorités ne va pas assez vite. Bref, l’Europe manque d’enthousiasme à l’égard des deux prochains adhérents.
Les négociations avec la Turquie, engagées il y a six mois, avancent lentement. Sur les 35 chapitres qui doivent être discutés, un seul a été ouvert, celui qui concerne la science et la recherche. Mais un blocage est apparu dès le chapitre suivant, consacré à l’éducation et à la culture, une partie des Etats, à l’initiative de la France, demandant que certaines questions politiques, comme les droits des minorités, soient débattues dans ce chapitre, avant de l’être éventuellement dans d’autres, au lieu d’être examinées plus tard, selon la procédure habituelle, au seul chapitre des droits de l’homme. Les Britanniques s’étonnent de cette demande, les Français répondent que les négociateurs doivent garder à l’esprit les réticences des opinions publiques. La tactique est claire : pour faire traîner les discussions, on n’hésite pas à multiplier les occasions de conflit.
Ces retards ne font pas l’affaire de la Croatie, dont le sort, au cours de la première phase des négociations, est lié à celui de la Turquie. L’ouverture des pourparlers avec Zagreb avait déjà été retardée de huit mois pour manque de coopération avec le Tribunal international de La Haye. De nouveaux délais risquent de compromettre son espoir d’entrer dans l’Union en 2009. Les Vingt-Cinq lui demandent des efforts supplémentaires pour réformer son système judiciaire, lutter contre la corruption, garantir la liberté des médias. Un climat de méfiance s’installe.
Avec les autres Etats de l’ex-Yougoslavie, on est encore loin du but. Ainsi l’Union menace-t-elle la Serbie de suspendre les discussions sur un accord de stabilisation et d’association si l’ancien chef de guerre Ratko Mladic n’est pas livré au tribunal de La Haye. D’abord fixée au 4 avril, l’échéance a été reculée d’un mois. Cet ultimatum est significatif des difficultés que rencontrent les nouvelles perspectives d’élargissement. Difficultés dont témoigne le rapport adopté il y a un mois par le Parlement européen, qui insiste sur la nécessité de tenir compte de la « capacité d’absorption » de l’Union.
On ne saurait reprocher aux Européens d’examiner avec soin les candidatures qui leur sont soumises, mais cette louable vigilance ne doit pas servir de prétexte à un rejet déguisé. Les conséquences de l’élargissement de 2004 ont peut-être été sous-estimées, les réactions des opinions publiques mal évaluées. Ce n’est pas une raison pour laisser retomber l’élan qui a porté l’Union au-delà de ses anciennes frontières et qui a fait son dynamisme. Au moment où l’Europe cherche un nouveau souffle, elle ne le trouvera pas en se repliant sur elle-même.