Logo de Turquie Européenne
Accueil > Editoriaux > Crise politique en Turquie : à qui la faute ?

Crise politique en Turquie : à qui la faute ?

dimanche 3 juillet 2011, par Oral Çalışlar

La nouvelle assemblée issue des élections du 12 juin dernier n’a toujours pas pu siéger au complet. Les 36 députés kurdes indépendants ont boycotté la séance d’ouverture, et ceux du principal parti d’opposition n’ont pas prêté serment, se privant par là de tout moyen de légiférer. Les deux partis protestent contre l’invalidation ou le maintien en détention de certains de leurs députés, élus, malgré leur incarcération. Le parti au pouvoir, l’AKP traîne les pieds, plaidant l’indépendance de la justice. Mais au fond, dit Oral Çalışlar, cette crise est une crise héritée du vieux système politique turc. Et il incombe à chacun de prendre ses responsabilités pour y trouver une issue.

Le CHP [Parti républicain du peuple, kémaliste, premier parti d’opposition] peut jouer un rôle important dans le blocage ou le déblocage d’une situation. Ces dernières années, il a verrouillé nombre de problèmes en Turquie et ainsi porté atteinte à la démocratisation du pays.
Sous le leadership de Kemal Kılıçdaroğlu, il a ouvert une période nouvelle. Ce n’est qu’un commencement, et il n’est pas évident de savoir vers quoi il va évoluer aujourd’hui.

Peut-on penser qu’un parti, ayant fait de la politique depuis vingt ans en s’appuyant sur un alliage de militarisme et d’étatisme brut, puisse changer du jour au lendemain ? Le CHP traverse une période où l’ancien et le nouveau cohabitent. Et il n’est d’ailleurs rien de plus naturel. En plaçant sur ses listes certains prévenus dans l’affaire Ergenekon, il a porté à l’assemblée nationale une partie de ce qu’il était autrefois. Des personnalités comme Süheyl Batum ou Nur Serter ont pris place dans la direction du parti, comme atouts de l’archaïque CHP. Il est donc certain que les critiques faites en ce sens sont pertinentes, justifiées même.

Une crise Ergenekon ?

 Venons-en à la dernière crise : bien sûr que c’était une faute politique que de présenter, comme candidats, des prévenus dans le cadre de l’affaire Ergenekon. D’accord, mais dans le cas où est élu, défendre le droit de siéger à l’assemblée d’un prévenu non encore condamné, mais élu député, et se battre pour cela, ne s’agit-il que d’un service rendu à Ergenekon ?

Est-il juste et fondé de présenter la crise actuelle comme « une crise d’Ergenekon » ?

Au fond, cette crise est une crise héritée du vieux système politique turc. Il n’est pas que les prévenus dans l’affaire Ergenekon à être interdit d’assemblée, mais aussi tous ceux de l’affaire du KCK [Union des Sociétés du Kurdistan, considérée comme l’émanation civile du PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan, en guerre contre Ankara depuis 1984 ; en décembre 2009, dans la cadre d’une enquête sur cette organisation, 35 responsables politiques kurdes, dont 8 maires, ont été arrêtés. Parmi eux, des personnalités élues le 12 juin dernier] . C’est la raison pour laquelle présenter cette crise comme une crise Ergenekon ne suffit pas à rendre compte de la totalité du problème. Face à ces développements, le gouvernement et le premier ministre n’ont-ils rien à faire, aucun rôle à jouer ? Hatip Dicle, l’élu kurde dont l’élection a été invalidée par le Conseil électoral supérieur a été frappé d’une peine renforcée ; pour ses idées. Il a été condamné au titre d’un article de loi qui est un authentique vestige de cette archaïque Turquie, au même titre que la Loi de lutte contre le terrorisme. Le premier ministre, dans son appréciation du cas Dicle, s’est permis de dire que cela ne ressemblait en rien à son cas personnel. Pourtant Hatip Dicle a été incarcéré, tout comme le Premier ministre[ Recep Tayyip Erdogan fut emprisonné en 1998 pour avoir récité en public les vers d’un poème évoquant minarets et coupoles, comme lances et boucliers]. Et en ce moment-même, il n’est pas condamné mais emprisonné.

Le CHP peut entrer demain à l’assemblée ; la crise prendra-t-elle fin ? Pour que cette crise prenne fin, ne faut -il pas que le Premier ministre qui a reçu le soutien de près de 50 % des électeurs, prenne une initiative ? Aucune responsabilité ne lui incombe-t-il ? Dans cette tension, Kılıçdaroğlu a dit qu’il laissait les portes ouvertes. Quant au Premier ministre : « Dois-je donner des consignes aux procureurs ? » s’est-il demandé.
Bien sûr que personne ne doit interférer dans le travail de la justice. Il n’en reste pas moins vrai que les députés élus ont été élus en conformité avec les lois actuelles. Les électeurs ont soutenu des listes dans lesquelles se trouvaient des personnes incarcérées. Ils ont ainsi fait savoir qu’ils souhaitaient voir ces noms-là les représenter.

Les députés indépendants

C’est à l’assemblée de trouver une solution à leur situation. Il serait utile d’interpréter ainsi la décision du CHP de repousser le serment de ses nouveaux députés. Bien sûr, le plus important reste la situation, pour l’instant inextricable, des députés indépendants qui ne pourront pas être libérés. Dans un certain sens, ils ont été choisis comme représentants de la question kurde. Une importante majorité de Kurdes souhaitent les voir à l’assemblée ; exprimant ainsi le fait qu’ils envisagent l’assemblée comme la voie d’un règlement. Cette configuration peut aussi être perçue comme un moyen tant de réduire la tension sociale dans la région, que de placer l’assemblée en recours au maquis.

Il faut que le CHP et l’AKP s’entendent sur les fondamentaux et qu’ils trouvent une solution. Au sein du CHP, il est une fraction qui souhaite dynamiter une telle perspective et faire monter la tension. Le vieux CHP résiste à Kılıçdaroğlu et à ses proches. A quoi sert-il donc, quels intérêts cela sert-il de désigner Kılıçdaroğlu comme seule cible aujourd’hui ?
Est-ce un CHP mené par Kılıçdaroğlu ou par Baykal, son prédécesseur, qui serait le plus proche d’une solution ? Il serait utile que l’AKP réfléchisse à ce sujet et qu’il détermine ainsi sa stratégie dans cette crise.
La volonté d’une solution réside bien plus dans l’initiative du Premier ministre. Un discours conciliant aiderait à renforcer encore l’influence de l’aile réformiste du CHP. Et une telle évolution créerait un environnement bien plus propice à la perspective de surmonter les obstacles importants placés devant la Turquie.

Critiquons Kılıçdaroğlu et son équipe. Critiquons le lien qu’ils ont maintenu avec Ergenekon. Mais comme je ne trouve pas juste de l’identifier lui, à cette affaire et à cette organisation, je trouve dommageable qu’on le qualifie ainsi, en mettant en péril la perspective d’un règlement des questions qui nous attendent.

Télécharger au format PDFTélécharger le texte de l'article au format PDF

Sources

Traduction pour TE : Marillac

Nouveautés sur le Web

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0