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Baykal en Turquie et Hollande en France, des naufrages électoraux attendus

mercredi 1er août 2007, par Reynald Beaufort

Deniz Baykal

L’actualité très agitée des ces derniers mois m’a inspiré ces quelques réflexions qui ne sont pas des révélations, mais qui méritent bien d’être portées à l’attention de nos lecteurs ne serait-ce que pour les convaincre davantage que le manque de vision politique n’a pas de frontières et ne dépend en aucune façon de la génétique des peuples.

Donc dans la série « que peuvent bien avoir de commun la France et la Turquie ? », hormis le fait non négligeable, et néanmoins négligé par beaucoup de commentateurs, qu’elle sont habitées par les mêmes sapiens sapiens avec toutes leurs qualités et défauts, le comportement de leurs homo-politicus sont si similaires que cela en est consternant.

Ainsi Deniz Baykal, le président du Parti Républicain du Peuple (CHP) à l’instar de François Hollande de « notre » PS a, depuis des années, privilégié des stratégies « gagnantes » qui étaient censées amener son parti à remporter les élections, plutôt que de se doter d’une politique et d’un programme.

Ils ont fait de la politique dans ce qu’elle peut être de plus « ras des pâquerettes » : se concentrer sur les luttes d’appareil et sur l’élimination des oppositions internes tout en oubliant consciencieusement l’essentiel : « pour quoi faire ? »

Autre similitude : la diabolisation de l’adversaire et l’utilisation de la peur en lieu et place d’arguments politiques. Le résultat a été le même dans les deux cas, l’opinion publique, la « majorité silencieuse » a fini par trouver suspecte cette propagande allant parfois jusqu’à la diffamation et s’est rangée du côté du « diable » ! Il ne faudra pas oublier de remercier les stratèges !

Le comparaison a aussi ses limites (quoique ?). Deniz Baykal a fait de la surenchère nationaliste, allant ainsi brouter les plates-bandes du Mouvement pour l’Action Nationaliste (MHP), parti dont c’est le fond de commerce. Résultat prévisible : les électeurs qui sont nationalistes (en Turquie ce n’est pas rare même dans les partis classés à gauche) ont préféré se tourner vers le MHP et les électeurs sociaux démocrates ont préféré voter pour les candidats indépendants, voir même l’AKP de M. Erdogan.
La représentation du CHP à l’assemblée a fondu ruinant tous les espoirs de coalition pouvant contrer l’écrasante majorité des musulmans modérés… Il ne suffit pas de se prétendre kémaliste pour avoir le génie politique d’Atatürk ! L’électorat turc qui n’est pas si stupide que ne le pensent généralement certaines élites républicaines, a surtout retenu les appels répétés et appuyés à une intervention militaire !

En France, les choses sont différentes, la déjà longue tradition d’alternance démocratique a fait que les électeurs ont, certes élu clairement le président, mais ne lui ont pas donné le « chèque en blanc » qui aurait consisté à lui offrir de surcroit une domination absolue au parlement. En Turquie, pour des raisons historiques, les gens ont encore la regrettable habitude de compter sur l’armée pour jouer ce rôle de modération et de contre pouvoir. Mais ce penchant pervers est aussi explicable par le fait qu’il n’existe pas d’opposition structurée et crédible.

Quelles sont donc ces raisons historiques dont j’ai parlé plus haut ? Pour faire simple, avant la chute du rideau de fer, la Turquie était une base avancée de l’Occident et des États-Unis, ayant une frontière avec l’ex-URSS. Pas question d’y tolérer des partis communistes ou socialistes et encore moins révolutionnaires. Or alors qu’en occident européen, les membres des oppositions sociales démocrates sont souvent issus des mouvances d’extrême gauche, en Turquie, à cause des persécutions qui ont suivi les coups d’état militaires, les militants de gauche soit sont restés en exil, soit n’ont pu constituer des partis, soit se sont figés dans un marxisme-léninisme anachronique.

Pourquoi donc ai-je glissé un « quoique ? » sournois au début de l’évocation des inclinaisons nationalistes des partis turcs ?

S’il est vrai qu’en France le nationalisme est quelque peu passé de mode, il faut se méfier de ses tentatives pour revenir sur le devant de la scène. Même déguisé avec les oripeaux du souverainisme et de la défense de l’identité française, c’est bien du retour de la même méfiance envers l’étranger et du même rejet de l’Autre dont il s’agit. Donc soyons vigilants et ne jetons pas trop vite la pierre aux Turcs.

François HollandeIl est ainsi question d’exclure le CHP de l’Internationale Socialiste à cause de ses dérives nationalistes et des appels au coup d’état militaire. Je pense qu’effectivement le CHP, tant qu’il aura Baykal à sa tête du moins, n’a plus rien de socialiste. Il est donc logique de l’exclure… Mais dans un souci d’équité, il faut alors exclure tous les partis (et il sont nombreux) qui ont les mêmes penchants. Il en est un que M. Hollande connaît bien, puisqu’il a signé des accords électoraux avec lui et vient encore d’en rencontrer les dirigeants européens, c’est la FRA (Fédération Révolutionnaire Arménienne) Dachnaksoutioun. Ce parti qui pratique en Arménie un nationalisme raciste et réclame à la Turquie la restitution des provinces arméniennes (qu’il prétend telles - il n’a jamais existé en Anatolie de région ethniquement « pures » - d’ailleurs, rien que le fait d’évoquer ces notions me donne la chair de poule…). Ce parti disais-je, n’a pas non plus grand-chose de socialiste, pourquoi alors le PS français en fait-il son interlocuteur privilégié ? N’est-ce pas encourager le nationalisme arménien et son reflet turc ? Il s’agit manifestement de complicité active.

Ici, en France, nous sommes malheureusement habitués à ces prises de parti irréfléchies pour ceux qui semblent être les victimes. Malgré le désastre des expériences de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda nous continuons à choisir entre la peste et le choléra… Or face aux nationalismes, il n’existe qu’une réponse : ne surtout pas entrer dans leur jeu, il n’existe pas de « bon » nationalisme… Le seul choix acceptable est de favoriser par tous les moyens ceux qui veulent continuer à vivre ensemble ou se réconcilier. Or il est clair que la FRA Dachnak veut la guerre et une revanche, elle ne s’en cache même pas comme l’a montré le discours de Mourad Papazian le 24 avril 2006 devant le monument de Marseille.

Excluons soit ! Mais excluons surtout un mode de pensée binaire qui veut que le monde se divise entre les « bons » et les « méchants », alors qu’il n’existe que des êtres ou des peuples qui savent bien, tour à tour, et suivant le contexte historique, se montrer brillants ou faire honte à l’humanité toute entière.

Le fait d’avoir été un jour une victime n’a jamais dispensé un jour de devenir le bourreau, ni l’inverse. Il n’existe ni peuple élu, ni peuple maudit, cette idée doit être absolument rejetée tout simplement parce qu’elle est profondément raciste.

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