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L’éditorial du président

A l’instar de la France, à son tour, la Turquie doit faire face à la rancoeur américaine.

lundi 4 avril 2005, par Reynald Beaufort

Un article « teigneux » de Samuel L. Pollock publié dans le Wall Street journal le 14 mars dernier, montre quel niveau de bêtise et de mauvaise foi peut atteindre le prétendu patriotisme des néo-cons américains (Je crois nécessaire de préciser que c’est une abréviation pour néo-conservateurs !).

Le titre résume le propos en un raccourci stupéfiant « La Turquie, un pays « ingrat, antisémite et paranoïaque ». Ainsi la Turquie serait devenue antisémite. Pour justifier ses propos, ce M. Pollock s’appuie sur quelques rumeurs nauséabondes et des articles publiés dans « Yeni Safak » un journal islamiste et les propos d’un demeuré, malheureusement parus dans le journal Hürriyet. Il est un fait que la presse turque est parfois de piètre qualité, certains journalistes n’hésitant pas à faire du sensationnalisme pour attirer le lecteur et l’exagération et la reproduction de rumeurs stupides sont malheureusement fréquentes. C’est, certes, très préoccupant, mais de là à y voir la main de l’état et une entreprise de propagande délibérée, il y a un pas que M. Pollock franchit d’autant plus facilement que cela sert son propos acrimonieux.

La Turquie est-elle vraiment devenue antisémite ? Certainement pas ! Mais en lisant l’article plus avant, on s’aperçoit qu’en fait la raison de cette accusation est le refus des Turcs de se joindre aux Etats Unis dans l’aventure Irakienne. Que cette accusation soit fondée ou non n’a pas d’importance puisqu’il s’agit de salir « un pays ingrat » avec la pire insulte qui soit. Les mots de « Goebbels » et « nazi » figurent même dans l’article, histoire de bien enfoncer le clou et de mieux manipuler le lecteur.

Il faut se remettre en mémoire que la France a eu à essuyer exactement la même accusation pour exactement les mêmes raisons. L’antiaméricanisme n’étant pas une avanie suffisante à cause de sa banalisation de par le monde, ce monsieur instrumentalise l’antisémitisme dans le simple but de punir la Turquie de ne pas avoir, comme dans le passé, accouru « le petit doigt sur la couture du pantalon » à l’injonction de Bush. Or, puisqu’il est ici question d’ingratitude, M. Pollock oublie simplement de dire que le coût de la guerre de Bush père pour l’économie turque a été estimé à 11 milliards de dollars et que, malgré les engagements pris par les Etats Unis, les compensations financières promises à l’époque à la Turquie n’ont jamais été versées. L’antiaméricanisme turc doit beaucoup à cet « oubli ». Un « chat échaudé craint l’eau froide, dit-on » !

Malgré cela, il n’est pas douteux que dans les milieux islamistes puisse sévir un antisionisme qui parfois peut dériver en antisémitisme. L’attentat anti-juif d’Istanbul a montré l’existence de sympathisants de Ben Laden parmi la population turque, mais ce phénomène reste tout à fait marginal et la généralisation auquel se livre M. Pollock tient des mêmes mécanismes qui, justement, engendrent le racisme.
Il est d’ailleurs assez intéressant de remarquer que des articles ont paru simultanément dans la presse européenne pour s’étonner du succès rencontré par la réédition de « Mein Kampf » en turc. Comme si le fait de lire un livre indiquait forcément l’adhésion aux idées qu’il défend. J’ai lu ce livre quand j’étais au lycée et je n’ai jamais eu ne serais-ce qu’une once de sympathie pour les idées nazies, mais plutôt la pensée qu’on ne peut combattre correctement que ce qu’on connaît. C’est par la même démarche que je dois moi-même me contraindre à la lecture d’indigestes brûlots antiturcs, qui confinent aussi parfois au racisme !
Je serai très curieux de connaître le score des ventes de Mein Kampf aux Etats Unis sur quelques dizaines d’années, en prenant en compte les ventes en ligne puisque la promotion des idées nazies n’y fait l’objet d’aucune censure ni poursuites. Dans ce genre d’affaires, il convient de toujours mettre les choses en perspective et avant de jeter l’anathème sur les autres et de regarder d’abord ce qu’il se passe chez soi. L’éternelle histoire de la paille et la poutre en quelque sorte. M. Le Pollock devrait lire la Fontaine !
En France, on ne pourra jamais évaluer quel pourraient être les ventes du livre d’Adolf Hitler, puisque la législation interdit de fait toute réédition. On peut donc s’offusquer à bon compte et sans grand risque de comparaison qu’il soit un « best seller » en Turquie ! Je ferais simplement remarquer au passage que les actes antisémites sont bien plus nombreux ici qu’en Turquie.

Cette instrumentalisation de l’antisémitisme, l’utilisation de ce mot à tort et à travers présente, elles, par contre, un réel danger : Celui de finir par le vider complètement de son sens.

Faut-il rappeler que l’Empire Ottoman a accueilli les Juifs chassés d’Espagne par l’intolérance religieuse ? Plus récemment nombre d’entre eux fuyant les persécutions dont ils étaient les victimes dans le reste de l’Europe avant et pendant la deuxième Guerre mondiale se sont réfugiés à nouveau en Turquie où ils ont été reçus à bras ouverts. La Turquie, malgré l’arrivée de l’A.K.P au pouvoir, reste l’alliée d’Israël et des accords militaires autorisent l’armée de l’air à utiliser l’espace aérien turc pour ses exercices, attitude qui serait pour le moins bizarre de la part d’antisémites !

La diatribe violemment anti communiste, même anti gauche du début de l’article nous révèle qui est M. Pollock , il n’est pas besoin de faire d’effort pour y flairer des relents de Mc Carthysme. On y trouve sans peine l’explication d’une mémoire sélective qui lui fait rappeler à la Turquie le soutien des Etats-Unis dans la lutte contre le PKK et l’ex URSS, mais passer sous silence l’action souterraine de la CIA pendant les années de plomb. Des menées qui afin d’éviter le passage de la Turquie dans la sphère communiste ont encouragé et soutenu les répressions successives dont furent victimes nombre de Turcs sous le simple soupçon de sympathies prosoviétiques. Oubliée aussi la période où la CIA recrutait les anciens nazis comme experts pour combattre le « péril rouge » en Amérique Latine.

Quant à cette guerre d’Irak, nul ne sait encore quelles en seront les conséquences sur la stabilité de la région, la réticence des Turcs est plus que jamais justifiée, car une fois les Gi’s partis, il y a de fortes chances que l’armée turque ait à gérer le problème sur le long terme.

M. Pollock évoque aussi le lobbying des Etats-Unis pour pousser l’Union Européenne à recevoir la Turquie en son sein. Or, ces pressions américaines ont surtout provoqué une méfiance justifiée (j’entends sur les réelles motivations des Etats-Unis) de la part des pays membres, l’enfer est pavé de prétendues bonnes intentions !

Pour finir, il ajoute une cerise sur le gâteau de la mauvaise foi en faisant mention du refus des Etats-Unis de reconnaître le génocide arménien, suggérant que cette attitude n’était que de la loyauté vis-à-vis d’un pays allié. Or, pour autant que je sache, ce n’est pas l’argument avancé par les experts et historiens américains comme Bernard Lewis, pour qui la démonstration de la volonté délibérée d’extermination des Arméniens n’a pas été faite. Que veut nous dire M. Pollock ? Que l’écriture de l’histoire aux Etats Unis est tributaire de ses alliances stratégiques ? Où doit on y voir une menace à peine voilée que Washington change sa position pour, encore une fois, « punir » les Turcs de leur crime de lèse majesté impériale ? L’avenir nous le dira sans doute. Il est regrettable qu’une telle tragédie soit ainsi utilisée pour des considérations très éloignées de la justice ou de soucis humanitaires.

Nous avions déjà tout entendu ou presque de la part des détracteurs de la Turquie, parfois tout et son contraire. Cette fois, on atteint le paroxysme du ridicule qui, fort heureusement, à notre époque formidable, ne tue plus. Si c’était le cas, l’hécatombe pourrait bien dépasser en ampleur tout ce que nous avons pu connaître par le passé !

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