J’ai retrouvé sur place son comité de soutien, Sinem Elmas, chargée des relations avec la presse et les deux responsables de campagne d’Avaaz, Marie Yared et Julien Bayou.
Tout le monde préparait avec enthousiasme des pancartes et des banderoles souhaitant la bienvenue à Sevil. L’envie de manifester la joie de la victoire se mêlait à l’impatience des retrouvailles. Ce fut l’occasion pour moi, comme pour d’autres partisans de serrer dans nos bras les compagnons de lutte que nous ne connaissions que virtuellement au travers des réseau sociaux et d’Internet. Étrange sensation que de découvrir « en vrai » des personnalités qu’on avait fait que pressentir, pour ma part ces nouveaux amis étaient tels que je les imaginait, avec la chaleur du contact direct en plus. Ces rencontres sont la vraie récompense de ces actions virtuelles.
L’avion de Turkish Airlines s’est posé à 16h35 comme annoncé, mais il a fallu plus d’une heure avant de voir sortir Sevil, sa mère Sevim et son petit frère dans le hall d’arrivée.
Les autres passagers de l’avion étaient surpris de la haie d’honneur qui attendait la jeune femme. Quand les portes coulissantes se sont ouvertes l’émotion exacerbée par l’attente s’est soudain libérée. Les jeunes amies et cousines de Sevil ses sont précipitées vers elle en entonnant sa chanson préférée, se mêlant aux journalistes plus rompus qu’elles aux bousculades habituellement réservées aux personnalités du gotha ou du show-business.
Après de courtes déclarations, il a fallu que Sevil et sa mère se précipitent à l’extérieur protégées par leurs amis afin d’éviter d’être littéralement étouffées par l’empressement, voir la rage de ceux qui voulaient absolument ne pas repartir bredouille à leurs rédactions, peu leur importait que le petit Baran, 3 ans, ait risqué d’être piétiné !
Sevil une fois réfugiée dans les bras de son père, certains de ces journalistes ont donné un spectacle pitoyable les uns reprochant aux autres avec colère de les avoir empêché d’approcher la jeune étudiante. J’ai depuis regardé ce qu’avaient produit leurs médias respectifs : du factuel brut, sans aucun intérêt, typique de la « pipolisation » de la majorité des organes de presse pour lesquels l’évènement est plus important que le contexte qui l’a généré. Il est heureux que quelques rares titres conservent un ton plus partisan et se montrent plus empathiques vis à vis des sujets qu’ils traitent.
Sevil a fini par s’échapper dans la voiture de France 3 Rhône Alpes, chaîne privilégiée pour avoir, plus que toute autre, suivi l’affaire avec assiduité depuis le début, elle était l’invitée du journal de 19 heures.
Ma famille et moi, sommes allés attendre Sevil chez elle ; là, timidement au début, nous discutons avec ses parents et très rapidement, nous oublions que, quelques heures avant, nous n’étions les uns pour les autres que quelques lignes de texte et quelques images lointaines. La famille de Sevil est simple et chaleureuse, hospitalière comme le sont les gens de leur pays d’origine. Comment peut-on accoler le mot « terroriste » au nom des Sevimli ? La famille est certes engagée politiquement à gauche, mais la violence lui est évidemment totalement étrangère. Il n’est, pour eux, pas question que nous repartions le soir même ou que nous séjournions dans un hôtel. Ils nous céderont pour un soir et sans hésitation leur propre chambre. Ce court séjour restera sans aucun doute un de mes meilleurs souvenirs en 23 ans de fréquentation des gens de Turquie.
J’ai aussi compris durant cette rencontre que Sevil puise sa force morale étonnante, pour une jeune femme de son âge, dans l’unité de sa grande famille. A aucun moment, elle n’a vraiment perdu espoir, elle savait par son admirable mère qui durant les neuf mois est toujours restée aussi près d’elle qu’on l’y autorisait, qu’elle n’était pas seule et qu’elle ne serait jamais oubliée.
Une autre force de Sevil est son calme et sa faculté naturelle à prendre du recul par rapport aux évènements, elle nous a confié avoir été la seule à réussir à dormir durant sa garde à vue et plus tard dans la solitude de sa cellule de type « F » !
Julien et Marie ont été invités à rester aussi, ainsi que Jules, un jeune communiste français, avec Sevil nous envisageons des stratégies pour l’avenir, car Sevil n’est pas tirée d’affaire pour autant, il y aura un procès en appel. Et nous n’oublions pas que près de 3000 autres étudiants partagent en Turquie le sort de Sevil et qu’on ne peut les abandonner. Sevil tient à continuer le combat pour leur libération, nous le poursuivrons donc avec elle, ici, en France, car il est trop risqué pour elle de retourner dans le pays de ses parents.
Nous remercions les dizaines de milliers d’anonymes qui ont soutenu Sevil. Sans eux, elle serait en prison comme les autres étudiants victimes du même arbitraire. Cette victoire est aussi la leur, puisse ce genre de mouvement de solidarité devenir plus fréquent jusqu’à devenir un jour la règle, afin qu’on ne puisse plus opprimer demain nulle part sans que le reste du monde ne se dresse immédiatement contre l’oppresseur.
Le fait est que jamais dans l’histoire du monde, un si grand nombre de gens ne se sont sentis concernés par ce qui se passait en dehors de leur pré carré. C’est de cette empathie à l’échelle planétaire qu’est né Avaaz. Cette ONG supranationale de citoyens issus de la plupart des pays du monde est, parmi d’autres à mon sens, une autre façon de faire de la politique, la concrétisation d’un grand espoir pour contrer les effets néfastes de l’autre mondialisation, celle pour qui notre planète n’est qu’une source de profit qui ne doit bénéficier qu’à une minorité. Cette oligarchie qui s’évertue convaincre le reste de l’humanité qu’il n’y a plus aucun autre choix que les égoïsmes nationaux et que la dictature d’une économie ayant perdu de vue son objet : le bien être global de l’humanité.
« Je suis dans la clarté qui s’avance
Mes mains sont toutes pleines de désirs, le monde est beau.Mes yeux ne se lassent pas de voir les arbres,
Les arbres si pleins d’espoir, les arbres si verts.Un sentier ensoleillé s’en va à travers les mûriers
Je suis à la fenêtre de l’infirmerie.Je ne sens pas l’odeur des médicaments,
Les œillets ont dû s’ouvrir quelque part.Être captif, là n’est pas la question,
Il s’agit de ne pas se rendre, voilà. »Nazım Hikmet Ran (écrit à la prison de Bursa en 1948)