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Le prix « Info-Türk 2012 pour la liberté » remis à l’éditeur turc Ragip Zarakolu

vendredi 28 décembre 2012, par Info Türk

Les citoyens appartenant aux diasporas arméniennes, assyriennes, kurdes et turques en Belqique ainsi que leurs amis d’autres origines différentes se sont retrouvés le 19 décembre 2012 aux Ateliers du Soleil à l’occasion de la soirée marquant la remise du prix « Info-Türk 2012 : Pour la liberté » à un invité hors du commun, Ragip Zarakolu, auteur, journaliste, éditeur et défenseur des droits de l’Homme.
Ce prix avait été décerné à Zarakolu au début de cette année alors qu’il se trouvait dans la prison de haute sécurité de type-F de Kocaeli.

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Remise du prix « Info-Türk 2012 pour la liberté » à Ragip Zarakolu par Dogan Özgüden
Photo : Dursun Aydemir

Après une série de rencontres à Paris, Zarakolu a d’abord tenu une conférence de presse le mercredi 19 décembre 2012 à la Fédération européenne des journalistes (EFJ) sur l’état actuel de la liberté d’expression en Turquie.

Lors de cette conférence de presse modérée par le journaliste Mehmet Köksal, le vice-président de l’EFJ Philippe Leruth était un des intervenants principaux sur la situation dramatique de la liberté de la presse en Turquie. Un des moments les plus marquants de cette rencontre au Centre de la presse internationale était l’intervention de Jean-Claude Defossé, sénateur Ecolo et ancien journaliste, qui a fait part de son indignation quant à la situation en Turquie ainsi qu’au fait que le monde politique et la presse belge ne réagissent pas contre la violation de la liberté d’expression dans ce pays candidat à l’Union européenne.

Le même jour, à partir de 16h30, Ragip Zarakolu a rencontré ses amis dans les locaux des Ateliers du Soleil.

Après une présentation de la soirée par la présidente des Ateliers du Soleil Iuccia Saponara, les dirigeants de la Fondation Info-Türk Dogan Özgüden et Inci Tugsavul ont remis à Zarakolu le certificat du prix « Info-Türk 2012 Pour la liberté ».

En échange, Ragip Zarakolu a remis aux associations de la diaspora, Fondation Info-Türk, Institut kurde de Bruxelles, Association des Arméniens démocrates de Belgique et l’Institut assyrien de Belqique un des livres que sa maison d’édition Belge a publié après sa mise en liberté.

La conférence de presse de Zarakolu à Bruxelles

L’éditeur-journaliste Zarakolu a tenu une conférence de presse le mercredi 19 décembre 2012 à la Fédération européenne des journalistes (EFJ) sur l’état actuel de la liberté d’expression en Turquie.

Lors de cette conférence de presse modérée par le journaliste Mehmet Köksal, le vice-président de l’EFJ Philippe Leruth était un des intervenants principaux sur la situation dramatique de la liberté de la presse en Turquie.

Un des moments les plus marquants de cette rencontre au Centre de la presse internationale était l’intervention de Jean-Claude Defossé, sénateur Ecolo et ancien journaliste, qui a fait part de son indignation quant à la situation en Turquie ainsi qu’au fait que le monde politique et la presse belge ne réagissent pas contre la violation de la liberté d’expression dans ce pays candidat à l’Union européenne.

Communiqué de la Fédération européenne des journalistes (EFJ) :

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Philippe Leruth, Mehmet Köksal et Ragip Zarakolu à la tribune de la conférence de presse
Photo : Dursun Aydemir

72 journalistes se trouvent actuellement derrière les barreaux de prisons turques. Leur crime ? Rien de moins que d’avoir fait leur métier. Et si la presse n’y est pas libre, le droit à l’expression ne l’est pas davantage : la censure frappe aussi les intellectuels, les universités et, régulièrement, des sites internet. Qu’est-ce qui ne va pas avec ces libertés, pourtant fondamentales, en Turquie ? « La liberté de la presse est un thermomètre de la démocratie et, en Turquie, le thermomètre est cassé », a souligné Philippe Leruth, vice-président de la Fédération européenne des journalistes (FEJ), le 19 décembre, lors d’une conférence de presse à Bruxelles.

Pourquoi la Turquie détient-elle le record du monde du nombre de journalistes emprisonnés ? « On y criminalise le travail des journalistes », résume Philippe Leruth, comme ce fut le cas pour Baris Terkoglu, « adopté » par l’AGJPB. Mais les journalistes ne sont pas les seuls à faire les frais de cette répression : la Turquie vient ainsi de se faire condamner par la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation de l’article 10 de la Convention européenne de droits de l’Homme, qui garantit la liberté d’expression. L’affaire portait sur le blocage de l’entièreté du service Google Site, faute de n’avoir pu interdire l’accès à l’un des sites hébergés sur cette plateforme et qui était accusé d’outrage à la mémoire d’Atatürk, le fondateur de la Turquie.

« En prison, j’étais plus libre d’écrire »

Ragip Zarakolu, né en 1948, est un chroniqueur turc, écrivain, éditeur. Ce défenseur acharné des droits de l’Homme était venu pour témoigner de longues années de répression et de l’harcèlement qui l’ont conduit, à plusieurs reprises, en prison. Ragip Zarakolu a commencé à écrire au lendemain de ses études, en 1968. Trois ans plus tard, après le coup d’Etat, il est emprisonné pendant trois ans. En 1977, il fonde une maison d’édition qui sera soumise à la censure. Malgré l’acharnement des autorités turques, il n’a jamais déposé sa plume. En 2007, l’association des journalistes turcs le récompensait pour sa défense de la liberté d’expression.

Ragip Zarakolu a notamment abordé le concept « d’ennemi intérieur » ainsi que l’importance du soutien international pour les intellectuels turcs. Non sans humour, il a affirmé qu’il était plus libre d’écrire lorsqu’il était emprisonné. Tout en rappelant les conditions pénibles de détention : privations, isolement… « C’est une réelle torture ». Il est également revenu sur l’assassinat de Hrant Dink, journaliste et écrivain turc, d’origine arménienne, assassiné à Istanbul en 2007. « Hrant Dink nous a sauvé la vie car sa mort a suscité des réactions importante dans le monde. » Quant à craindre pour sa propre vie, Ragif Zarakolu dit ne pas s’en soucier. « Et je n’ai pas peur. »

« Je suis indigné du monde politique et journalistique belge ! »

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Ragip Zarakolu avec Dogan Özgüden et Jean-Claude Defosset lors de la remise du prix
Photo : Dursun Aydemir

Jean-Claude Defossé, sénateur Ecolo et ancien journaliste, a fait part de son indignation quant à la situation en Turquie. Mais pas seulement : « Je suis indigné du monde politique belge qui a mis un an, au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, pour faire voter une résolution condamnant les atteintes à la liberté de la presse en Turquie. Et encore, il a fallu la diluer en y associant des pays des Balkans. Je suis encore indigné de constater à quel point la presse belge est silencieuse et entretient une omerta par rapport à ce qui se passe en Turquie. Je suis indigné et honteux par rapport à mes anciens collègues. Ici, il ne s’agit pas de plombiers-zingueurs mais de journalistes ! Je ne leur demande pas de faire du militantisme mais de faire leur métier. »

Les actions de la FEJ

Comment exprimer, depuis la Belgique, sa solidarité envers les journalistes turcs emprisonnés ? « On a des campagnes et des moyens de communication modernes », a expliqué Philippe Leruth. « A côté de ces actions collectives, on peut également agir de manière individuelle en écrivant à l’ambassade de Turquie pour protester contre l’emprisonnement des journalistes. » Dans sa page dédiée à la Turquie, le site de la FEJ publie une liste mise à jour des journalistes emprisonnés. A côté de leur nom, figure leur nombre de jours de détentions. Hatice Duman en est leur « doyen » : le journaliste est privé de sa liberté depuis plus de 3.550 jours.

En interne, la FEJ continue à soutenir l’union turque des journalistes « qui est sur le terrain, confrontée à la situation. On envoie, quand on peut, des délégués en Turquie pour montrer qu’on est présents. On a nommé un coordinateur de campagne à Bruxelles, le journaliste indépendant Mehmet Koksal. Et on poursuit nos contacts avec la Commission européenne. »

Voir :

http://www.ajp.be/actus/actus.php?id=672
http://www.youtube.com/watch?v=dOa7...

Texte de l’intervention de Zarakolu lors de la conférence de presse

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La présence citoyenne lors de la conférence de presse
Photo : Dursun Aydemir

Il y a sept ans, le Comité de liberté d’expression de l’Union des Ecrivains de Turquie a fait la prédiction suivante :

« Le nouveau projet de loi contre le terrorisme (ATL) contient des dispositions très graves qui peuvent mettre en péril la liberté de pensée, d’expression et de la presse ainsi que la liberté de publication. »

Et un an plus tard après l’adoption de la nouvelle loi nous disions :

"L’un des développements les plus malheureux de 2006 a sans doute été la révocation de certains changements positifs qui avaient été apportés à la loi contre le terrorisme grâce à des avertissements sérieux exprimés par des écrivains, des journalistes et des éditeurs. En fait, ces changements sont susceptibles de créer une situation bien pire que celle qui existait auparavant. Nous souhaiterions que le pouvoir judiciaire adopte une prise de position plus indépendante et libre afin que la liberté d’expression puisse s’épanouir malgré ces changements législatifs. Cependant, il est très clair que l’intention des pouvoirs législatif et exécutif est insuffisante concernant la liberté de la pensée et de la publication. Il faut un changement majeur dans le comportement du pouvoir en ce qui concerne les libertés et droits fondamentaux.

Malheureusement, après la soi-disant « réforme » constitutionnelle de l’année dernière, non seulement la liberté de pensée et d’expression a été sans cesse soumise aux attaques, mais les droits fondamentaux tels que le droit de réunion et d’association sont également confrontés à des problèmes similaires. L’ingérence inadmissible dans la vie privée est devenue une pratique quotidienne. Les représentants élus du peuple, les associations professionnelles et les organisations non gouvernementales sont également devenus la cible d’ attaques permanentes.

C’est comme si le fantôme du maccarthysme des années 50 était ressuscité. C’est l’ambiance d’un état d’urgence, c’est de facto la loi martiale.

La loi contre le terrorisme n’est plus un projet de loi qui traite de « terrorisme », elle est plutôt devenue une loi qui censure et une loi qui ne tient pas compte des libertés et des droits fondamentaux. Quant aux tribunaux dotés d’ autorités exceptionnelles spéciales, ils ont été transformés en tribunaux de l’indépendance, en cour suprême de justice et en cours martiales du passé. La loi contre le terrorisme est, comme un cancer, l’acteur principal de l’érosion et de la destruction de notre pays. Il est triste de constater que notre pays ne cesse de devenir le pays ayant le plus de prisonniers politiques dans le monde.

L’un des faits les plus douloureux est que la construction des prisons est devenue le secteur le plus actif de notre industrie. La question ici n’est pas d’améliorer les conditions de détention, comme soulevée par les discussions entourant la tragédie récente de Diyarbakir, mais de créer les conditions afin que la Turquie soit un pays ayant moins de prisons. La Turquie n’a pas besoin de créer de nouveaux goulags, mais de faire vivre les droits fondamentaux et les libertés des individus. Si ceux qui sont au pouvoir ont peur de la formation des places Tahrir, nous ne pouvons que leur dire : « la peur ne peut jamais empêcher l’arrivée de l’ange de la mort » et que « chaque être est mortel ».

Les graves violations de la liberté de pensée et d’expression et les droits fondamentaux en Turquie ont été une source de grande préoccupation au niveau international. C’est la raison pour laquelle, je veux tout d’abord attirer l’attention des organisations des journalistes professionnels.

A cause de la mauvaise utilisation des législations contre le terrorisme, la Turquie est devenue un pays où de nombreux journalistes, écrivains, militants des droits humains, militants des partis politiques légaux, étudiants, maires élus, Parlementaires élus se trouvent en prison seulement pour leurs activités légales et légitimes.

Chaque jour, de nouvelles restrictions répressives sont mises en pratique contre les libertés et les droits fondamentaux. La tentative de réforme constitutionnelle a été arrêtée par l’ AKP après 10 ans de pouvoir.

Le gouvernement AKP perd de plus en plus sa légitimité acquise par des élections, parce qu’il préfère utiliser le pouvoir illégitime de la Constitution militariste de 1982. L’ AKP veut supprimer le deuxième vainqueur de l’élection, le parti pour la démocratie et la paix (BDP), qui possède la majorité dans la région kurde.

La Turquie est sensée faire partie du système démocratique occidental, mais il est le seul pays européen, champion par le nombre de prisonniers politiques, en concurrence avec la Russie, la Chine, l’Ukraine, l’Iran et la Biélorussie.

Parmi plusieurs métiers en Turquie, c’est la profession de journaliste qui a eu le plus grand nombre de victimes au cours des trois dernières années.

J’ai commencé le journalisme en 1968 avec la revue politique hebdomadaire ANT, qui a été fermée par l’armée, puis mon journal Demokrat, qui a été fermé par la même armée en1980, et en 1990, nous avons poursuivi le journalisme dans le quotidien Özgür Gündem sous la menace d’enlèvements et d’assassinats. La semaine dernière encore, 2 journalistes des quotidiens Evrensel et Gündem ont été arrêtés.

La presse d’opposition comme Azadiya Welat, Evrensel, Gündem, Atilim et Birgün est toujours privée de nombreux correspondants, éditeurs ou distributeurs, jetés en prison.

Il y a aussi plus de 1000 poursuites judiciaires contre tous les médias, à cause de l’application abusive de la loi contre le terrorisme, du Code pénal avec son fameux article 301 et de la loi sur la presse qui empêche la jouissance de la liberté d’expression, de presse, d’écriture, de lecture et d’édition.

J’ai été arrêté à cause de mes conférences sur les journalistes en prison comme Ahmet Sik, Nedim Sener, Bedri Adanir, Vedat Kurshun et d’autres.

J’ai été arrêté parce que je défendais des libertés académiques.

J’ai été arrêté parce que j’ai publié des livres sur des sujets tabous comme la question kurde, le génocide arménien et la critique du négationnisme.

En 2011, j’ai été condamné parce que j’ai publié un livre sur un des sujets d’actualité, le procès KCK.

Ils m’ont condamné en tant qu’éditeur, or légalement je n’étais pas responsable, de l’écrivain N. Mehmet Güler. Le dossier a été envoyé à la Cour d’appel.

Mais ce n’était pas assez pour eux. Ils nous ont arrêté tous deux en tant qu’auteur et éditeur, cette fois dans le cadre d’ « organisation terroriste ». Il n’était pas assez pour eux de nous condamner à cause du livre, ainsi ils nous ont mis en prison en vertu de la loi contre le terrorisme.

Après cinq mois d’emprisonnement, ils ont dû nous libérer.

N. Mehmet Güler se trouve dans une situation critique, car même après sa mise en liberté, des pressions, des menaces et des abus contre lui se poursuivent sans cesse.

Il est marié et père de 2 enfants, il a une entreprise, comme plusieurs autres personnes arrêtées. Les familles et enfants de prisonniers politiques souffrent lourdement.

Je souffre aussi non seulement comme un journaliste ou un écrivain ou un éditeur et militant des droits humains, mais également en tant que père.

Maintenant, je me trouve ici en tant que témoin pour des journalistes en prison avec qui j’ai travaillé pendant des années, par exemple avec Davut Ucar pendant 20 ans.

Oui, je suis son témoin de défense. Il n’est pas un « terroriste », il est journaliste.

Et d’autres : j’ai travaillé avec Zeynep Koray, Yuksel Genc, Huseyin Deniz, Fusun Erdogan, Nurettin Firat, Pervin Yerlikaya, Ramazan Pekgoz, Tayyip Temel, Tourabi Kisin, Ziya Cicekci, Zuhal Tekiner ou Zeynep Kuris etc… etc… Et ce pendant des années.

Je suis témoin pour Ayse Berkaty et Deniz Zarakolu ; ils sont des chercheurs en sciences sociales et traducteurs.

Je suis témoin pour Mulazim Ozcan. Il est linguiste, poète et était mon professeur de langue kurde en prison.

Je suis témoin pour Muharrem Erbey. Il est un militant des droits humains et auteur de livres pour enfants.

Je suis témoin pour les membres du parti pour la démocratie et la paix (BDP). C’est eux qui ont réalisé le succès électoral de leur parti aux élections de 2011 malgré tous les obstacles anti-démocratiques.

Je suis témoin pour les parlementaires élus de ce parti qui se trouvent en prison.

Je suis témoin pour les maires kurdes élus et les autres représentants kurdes du pouvoir local.

Je suis témoin pour des étudiants universitaires qui se trouvent en prison pour leurs manifestations, réunions et critiques démocratiques.

Je suis témoin pour des écrivains et traducteurs en prison.

Et ici, j’accuse des procès de masse injustes menés avec une mentalité totalitaire comme cela s’est produit dans les années 1930 et 1940 ou des procès militaires des années 1970 et 1980.

Ici dans ce tribunal symbolique du peuple, je dénonce des crimes contre l’humanité, comme ce qui était fait au tribunal de Russel pour le Vietnam en 1968 ou au tribunal de Paris en 1984.

Pourquoi ? Parce que je suis un journaliste pour la vérité.

Parce que je suis un défenseur des droits de l’Homme.

Parce que je suis un éditeur qui porte la responsabilité de défendre le droit de lire et écrire, de s’exprimer en pleine liberté.

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